VIS à VIS avec les entreprises internet et les associations professionnelles

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Posted on July 14, 2021

Compte-Rendu de la réunion du

30 Juillet 2021

de 15h30 à 17h00

 

Etaient présents :

  • Valentina Zoccali, S-Com Aisbl
  • Ahlam Chokrani, S-Com Aisbl
  • Pietro Lunetto, FILEF Nuova Emigrazione
  • Roxane Scheerlinck, UNIA – Centre Interfédéral pour l’Egalité des chances
  • Saba Parsa, 1ère vice-présidente du CSA – Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
  • Audrey Adam, Avocate en droit de la presse et de la liberté d’expression
  • Ibrahim Ouassari, Molengeek
  • Ilaria Villella et Leonardo Benucci, “Italiani in Belgio community”
  • Serge de Patoul, expert S-Com Aisbl

La troisième rencontre du projet a eu lieu VIS à VIS avec des experts des nouveaux médias, de la technologie et de la réglementation internet. Elle s’est tenue le 30 juillet via la plateforme MTeams afin de pouvoir répondre à la question : Comment contrer les messages de haine en ligne sur internet ?

La réunion a commencé avec la prise de parole de Valentina Zoccali, Secrétaire Générale de S-Com AISBL qui a présenté tout d’abord l’association et le projet VIS à VIS et ses objectifs. Les objectifs sont :

  • La création d’un outil de détection des sites de haine en ligne
  • La mise en place d’un guichet d’aide aux victimes
  • La rédaction d’un guide pédagogique

Ensuite, Valentina Zoccali nous a parlé aussi de la méthodologie pour les atteindre et a invité les participant.e.s à répondre au questionnaire et à joindre le MoU créé pour le projet VIS à VIS.

Ahlam Chokrani, assistante de projet chez S-Com Aisbl, a pris la parole ensuite pour faire une synthèse des différentes rencontres réalisées jusqu’à présent.

Lors des précédentes rencontres, les réponses au questionnaire mis en ligne ont permis de dégager des conclusions. Ahlam Chokrani a présenté le Guichet d’Aide aux Victimes ainsi que les signataires du Memorandum of Understanding (MoU).

Ensuite elle a donné la parole à Pietro Lunetto du FILEF Nuova Emigrazione qui a parlé de son expérience et des raisons pour lesquelles il a signé le protocole d’accord (MoU).

La communauté italienne dans le monde est encore victime de nombreux stéréotypes et discriminations qui conditionnent son processus d’inclusion dans les communautés d’accueil. Il a parlé du travail effectué par FILEF dans le monde et a invité les autres participant.e.s. à rejoindre le nouveau bureau VIS à VIS en signant le MoU.  Le guichet d’aide aux victimes représente une action commune pour protéger ces communautés.

La première intervenante, Roxanne Scheerlink, est Chargée de mission et Gestionnaire de dossiers chez UNIA : Au sein de UNIA, son rôle est de traiter et d’assurer le suivi des rapports et des dossiers relatifs aux discours de haine en ligne qui ont principalement lieu sur les médias sociaux.

UNIA est une institution publique indépendante qui lutte contre la discrimination en Belgique. L’institution joue un rôle important dans la lutte contre les messages haineux et d’aide aux victimes de la haine en ligne.

Valentina Zoccali a posé la question à Roxanne Scheerlink concernant le rôle de UNIA dans la lutte contre les messages de haine :

Mme Scheerlink a expliqué le rôle de UNIA dans la société :

  • L’organisation soutient les victimes en les informant à propos des lois belges ainsi que sur leurs droits.
  • Elle contribue à la création d’une jurisprudence afin d’aider les victimes de haine.
  • Unia aide la Commission européenne à mettre en œuvre le code de conduite contre les messages haineux en ligne.
  • L’institution peut demander la révocation des messages en ligne punissables par la loi belge.
  • Elle travaille avec des associations de jeunes afin de mieux cibler les messages de haine sur internet.
  • UNIA collabore avec les réseaux sociaux et les modérateur.rice.s de ces dits réseaux comme TWITTER et FACEBOOK  pour le traitement des messages de haine en ligne.

La deuxième intervenante est Saba Parsa, avocate et première vice-présidente du CSA.

Saba Parsa a expliqué comment la législation nationale et européenne a évolué ces dernières années par rapport au contrôle des contenus sur les réseaux sociaux. Bien que face à une difficulté de donner une définition exacte de ce qu’est un discours de haine, il y a un ensemble de lois qui ont été écrites pour contrer les discours de haine en droit belge et européen pour lutter contre toute forme de discrimination. Cette réglementation reste limitée aux aspects qui violent le droit pénal et elle est confrontée aux contraintes engendrées par le marché économique représenté par les plateformes. Évidemment un rôle important est joué par l’éducation aux médias pour les utilisateurs.trices, les éditeurs.trices et les plateformes elles-mêmes. Il y a un cadre juridique légal pour contrer les messages de haine en ligne que le CSA utilise. En effet, la Cour Européenne des Droits de l’homme a établi un ensemble de critères pour limiter la liberté d’expression pour protéger les victimes de la haine en ligne. Il y a aussi des lois, comme par exemple la loi dite “Loi Moureaux”- 1986, contre tous les acteurs racistes. En droit belge et européen, on ne peut donc pas inciter à la haine à l’égard d’une personne ou d’un groupe. La première réglementation au niveau européen a été la directive e-commerce (2000), qui assurait aux fournisseurs de services informatiques une sorte de totale liberté de prestation avec peu d’exceptions.

Ensuite, il y a eu la directive SMA (Services des Médias Audiovisuels/ 2010, modifiée en 2018) qui est une extension de la réglementation. Elle contient les premiers éléments de responsabilisation des plateformes et des services de partage de vidéos. Par ailleurs, le Code de Conduite (2016) est limité en termes d’impact pour l’absence de sanctions : le CSA en effet a recensé plutôt une croissance de messages haineux au point d’émettre une note d’orientation (2019) pour permettre au CSA d’intervenir ou au moins pour co-réguler avec les plateformes et pour les contraindre à agir vite en cas de dénonciation d’un discours de haine, en s’inspirant des modèles français (loi AVIA) et allemand (NetzDG), qui ont démontré une certaine efficacité (p.ex. Facebook informe ses utilisateurs sur leur faculté de recours à la NetzDG).

Le CSA a agi avec une attention particulière sur la protection des mineurs dont il a la compétence au niveau francophone. Actuellement cette note est obsolète, étant donné le passage du code de Conduite au règlement DSA (Digital Services Act) au niveau européen. Le CSA préside actuellement l’ERGA – European Regulators Group for Audiovisual Media Services (à partir d’un MoU -adopté le 3/12/2020). Il a adopté en 2021 des propositions pour renforcer le Digital Service Act, en particulier en suggérant de confier la régulation des contenus en ligne aux autorités de régulation des médias audiovisuels, vu leur expérience et leur rôle reconnu de garants de la liberté d’expression et des droits fondamentaux.

Que ce soit pour la DSA et pour la DMA (Digital Markets Act), l’important est de mettre les citoyen.ne.s. au centre. Du côté de la gouvernance, la DSA prévoit la création de nouvelles figures comme: le Comité européen des services numériques, le coordinateur national pour les services numériques et le délégué à la conformité au sein des entreprises, ainsi que de nouveaux acteurs comme les fournisseurs de services d’intermédiaires. Chaque act.eur.rice aura un ensemble bien défini de responsabilités en fonction de son rôle. A tout niveau il y aura donc une obligation de transparence et d’information.

L’aspect que caractérise la DSA par rapport au Code de conduite est la possibilité de sanctionner (amende jusqu’au 6% du chiffre d’affaires de l’entreprise) accompagné d’un mécanisme de notification, ouvert aux citoyens et/ou aux institutions pour dénoncer des contenus illicites. Globalement, on peut dire qu’il y a beaucoup d’aspects positifs dans la DSA (définition des contenus illégaux, des obligations et des sanctions). Néanmoins il faudra vérifier la gouvernance de tout le système, surtout le fonctionnement de la nouvelle autorité centrale. Il faut aussi souligner qu’avec la DSA les plus grandes plateformes comme Facebook peuvent être directement sanctionnées par la Commission Européenne.

Mme Aurdey Adam, deuxième avocate invitée, est spécialiste en droit des médias et de la liberté d’expression, représente entre autres la RTBF. Elle prend ensuite la parole pour donner son témoignage sur la haine en ligne et les solutions afin de la contrer.

Audrey Adam met en avant l’augmentation des litiges en matière de haine en ligne, tant en ce qui concerne les particuliers, que les structures médiatiques. Actuellement les journalistes et animateurs.trices sont de plus en plus confrontés à des messages haineux en ligne. On peut dès lors se poser la question où est la limite entre un message licite et un message illicite car on peut porter atteinte à la liberté d’expression en voulant contrer les messages de haine en ligne. Le droit à la liberté d’expression doit être la référence pour vérifier la légitimité des sanctions judiciaires ou pénales qui sont apportées aux messages diffusés. Pour ce faire, un canevas a été établi à partir de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour Européenne de Droits de l’Homme, qui permet de vérifier d’abord s’il y a une loi nationale qui justifie cette sanction et ensuite si la sanction poursuit un but légitime et s’il y a cohérence avec le critère de nécessité (un message considéré d’intérêt publique même si choquant ne pourra pas être sanctionné). Au-delà de parler de discours de haine, le critère qui fixe réellement la limite par rapport à la liberté d’expression est l’incitation à la haine et à la violence. Le terme incitation à son tour n’est pas bien défini, donc il faut se référer chaque fois au contexte.

Concernant les plateformes internet en Belgique, suivant le droit belge et le droit européen intégré, on parle de substantielle exonération de responsabilisation, sauf dans le cas où ils reçoivent une notification (par ex. par un juge), qui porte à connaissance un message contenant des discours de haine et de violence. Comme elles sont informées, on peut donc mettre en jeu leur responsabilité. A cette notification, ils doivent décider de retirer le discours ou le rendre indisponible temporairement. A toute évidence ce n’est pas une solution : l’auteur du message peut facilement répéter son harcèlement à partir d’une autre adresse. La seule solution serait de contraindre les plateformes d’identifier l’auteur du message mais avec la législation actuelle, ça n’est pas possible : on reste dans le domaine de solliciter la « bonne volonté » des fournisseurs de services qui peuvent refuser de collaborer. Le constat est assez frustrant car le problème augmente au fil des mois et des années. Audrey Adam ajoute que la répression est utile et nécessaire pour sonner la fin de l’impunité et donner un message aux gens qui diffusent la haine sur le net pour changer leurs comportements. Juridiquement, il faut considérer les plateformes internet comme des “espaces publics” pour donner aux victimes les moyens pratiques d’identifier les auteurs. Dans l’autre sens, il faut aussi pouvoir mettre en place dans les législations des mécanismes correcteurs pour lutter contre des censures éventuelles.

Pour finir, Audrey Adam a répondu à la question posée par Saba Parsa sur le délit de presse. L’avocate Audrey Adam souligne que c’est un problème belgo-belge. En effet, le système juridique belge est très protecteur de la liberté d’expression et prévoit que lorsqu’on est face à un délit de presse c’est la cour d’assise qui est compétente pour juger de ces délits. Un délit de presse est un message écrit qui va être rendu public et qui comporte de l’injure, de la diffamation, des menaces, etc… A partir du moment où il est rendu public, on considère cela comme un délit de presse. Le principe remonte à la création de la Belgique et dans l’intention du législateur c’était un mécanisme de protection de la libre expression des journalistes. Comme aujourd’hui tout le monde est journaliste sur les réseaux sociaux, cette garantie procédurale liée au délit de presse, d’une certaine façon « protège » les personnes qui diffusent des messages de haine et violence, leur donnant un sentiment d’impunité, vu la difficulté d’instruire un procès en Cours d’Assise.

Il y a une seule exception : le délit de presse à caractère raciste. Dans ce cas la compétence est du tribunal correctionnel donc sont plus nombreux les procès pour ce type de délit de presse. Concernant les autres contenus, comme le sexisme, qui sont encore qualifiés comme délit de presse « non correctionalisé », la tendance actuelle est d’élargir le champ d’action du « caractère raciste » pour englober tous les autres critères de discrimination.

Après ces trois interventions qui concernent les réglementations d’internet, la parole est passée à Ilaria Villella du groupe Facebook “italiani in belgio” pour apporter son témoignage ainsi que les solutions proposées pour contrer les messages de haine qui apparaissent dans le groupe. Malheureusement, pour des raisons personnelles, nous n’avons pas pu avoir le témoignage de Ibrahim Ouassari de Molengeek. Ilaria Villella est modératrice du groupe Facebook  “italiani in belgio” qui existe depuis 2008 et compte presque 20 000 utilisateurs. C’est un groupe d’entraide pour la communauté italienne vivant en Belgique. Ilaria Villella raconte la difficulté à gérer le groupe au début car il y avait des membres qui étaient agressifs ou se moquaient des autres en écrivant des commentaires abusifs ou en écrivant des commentaires violents dans des posts d’autres membres du groupe. Suite à la virulence de certains propos violents, les modérateurs ont été obligés de supprimer des commentaires ou d’éliminer les membres les plus violents du groupe. Certains membres se sont rebellés suite à ce blocage en disant qu’il n’y a pas de démocratie dans le groupe et pas de liberté d’expression en y ajoutant des insultes à l’encontre des administrateur.trices.

Des règles claires ont été dès lors mises en place pour contrôler la diffusion de ces messages de haine en ligne afin que les utilisateurs soient prévenus que ces messages n’ont pas de légitimité à être présents dans ce groupe. Pendant la crise sanitaire, les administrateurs.trices ont mis à jour les règles du groupe. Ainsi, en vue d’éviter les « fake news » et les débordements par rapport à ce sujet sensible qui suscite souvent des réactions violentes, les informations officielles sur le covid 19 ont été diffusées.

Ilaria Villella ajoute pour conclure son intervention que pour contrer la haine en ligne il faut donner des règles très claires et faire attention à la manière dont on écrit en évitant les sarcasmes, mais aussi responsabiliser les membres et demander la collaboration de tout le monde et, si nécessaire, poster des informations officielles (par ex. dans le cas de la crise covid 19).

Ensuite Leonardo Benucci, co-modérateur du groupe Facebook  “italiani in belgio” a remercié tout le monde et insiste sur le fait que l’outil le plus important est de responsabiliser les membres du groupe afin de gérer au mieux la modération du groupe.

Pour terminer la rencontre, Monsieur Serge de Patoul a dégagé certains éléments de la réunion pour pouvoir contribuer aux réflexions futures sur ce projet VIS-À-VIS :

  • Les plateformes sont des espaces publics et ne sont pas des espaces privés.
  • Il y a un réel besoin d’éducation aux médias, le boom des réseaux sociaux fait que tout le monde peut diffuser de l’information comme un journaliste.
  • L’expression orale et l’expression écrite sont des manières de communiquer différentes ; la nuance et l’à-propos sont plus difficiles dans l’expression écrite et ils ne font pas bon ménage avec l’immédiateté ; les messages peuvent devenir vraiment différents selon qu’ils soient écrits ou oraux.
  • Le système est imparfait pour les victimes de la haine en ligne : la procédure pour responsabiliser les plateformes est assez lourde, les plateformes gardent l’autorité sans contrôle du pouvoir public, les plates-formes permettent une non-identification dès lors que la victime est identifiée alors que le harceleur peut-être anonyme.

 


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